Jean-Pierre Daviet,
Stratégie et structure dans chez Saint-Gobain : un modèle français dans les années 1930?
L’article essaie de tester pour le cas français une problématique chandlérienne, qui établirait une relation causale entre stratégie de croissance et diversification d’une part, modification des structures d’autre part (adoption d’une structure divisionnelle décentralisée, résultats financiers standardisés, etc.). L’exemple de Saint-Gobain est choisi en raison de l’importance de ce groupe et de la complexité de ses affaires, de type congloméral. Il étudie d’abord les stratégies de diversification de Saint-Gobain au cours des années 1920: produits verriers, chimie au sens large (y compris azote, cellulose, pétrole). La conclusion de cette partie est que, pour le domaine verrier, on se rapproche dans une certaine mesure du modèle américain de stratégie ; mais que, pour la chimie, Saint-Gobain a échoué à maîtriser et à développer avec fruit une politique de diversification, faute d’une analyse des composantes essentielles d’une stratégie (une stratégie qui aurait dû s’appuyer sur une technologie, donc ici sur des moyens de recherche propres à l’adoption d’une nouvelle chimie).La seconde partie prend en considération le changement à Saint-Gobain au cours des années 1930. La crise de commandement ne se dénoue qu’en 1936, avec l’arrivée au pouvoir d’un homme considéré comme un saveur, Pierre Hély d’Oissel. Il apporte des idées fayoliennes, ce qui nécessite que l’on s’oriente dans les diverses interprétations qui ont été données du message de Fayol. Il y eut affirmation d’une fonction administrative supérieure, une nouvelle approche du fait financier, et un certain mouvement vers l’organisation fédérative, loin d’être bien achevé en 1939. Il est certain que les structures, si elles sont le produit d’une stratégie, ont une influence en retour sur les stratégies industrielles, et ces réformes furent bénéfiques pour la stratégie à long terme de Saint-Gobain. Pour autant, le climat restait très différent de celui d’une entreprise américaine. Les normes, les critères de jugement de l’action, le manière de définir les fonctions, les sentiments collectifs ne sont pas ceux des USA parce que le rapport à l’argent est spécifiquement français. La troisième partie tente de décrire ce qu’était la direction financière à Saint-Gobain. Ce n’est pas une direction utilisant la gestion budgétaire au sens où nous l’entendons aujourd’hui, une direction capable de s’articuler avec la structure divisionnelle à la Chandler. L’absence d’une direction financière comparable à celle des groupes américains est-elle cause ou conséquence? Peut-être un peu des deux, mais c’est un élément important du modèle de l’entreprise française de cette époque, et probablement encore, des années 1950.
Do Chandler’s views on the relationship between strategy and structure apply to the case of Saint-Gobain–a French conglomerate–in the interwar period? In the 1920s the corporation followed a strategy of diversification in its two core trades. In glass, it worked and was pretty close to the American model of strategy. In chemicals, it was not successful, because it ignored the specific dimensions of strategy: technology and industrial research. In the 1930s the structures changed with the arrivale of a new CEO, Pierre Hély d’Oissel. He was influenced by the ideas of Fayol. He developed a managerial hierarchy, a new approach to finance, and some amount of autonomy for the divisions. This evolution of the structures was highly fruitful for the long-term strategy of the company. However, the company remained quite different from an American corporation. In particular, the relation of the managers to money was specifically French. Therefore, the finance division did not use budgeting procedures and was not able to articulate itself with the new divisional structure « à la Chandler. » The absence of an American-style financial division was a key element of the French pattern of business management in the 1930s, and even in the 1950s.